Herman Melville – Arrowhead
Biographie de Herman Melville.
« Qu’est ce que la réalité, sinon un impondérable » ?
Herman Melville naît à New York, le 1er août 1819. Il est le troisième des huit enfants d’Allan Melville, un négociant d’origine écossaise. Dès 1826, celui-ci connaît des difficultés dans son entreprise, avant de faire faillite quatre années plus tard. Il décède en 1832 et laisse ainsi sans ressources les Melville, installés à présent à Albany.
A l’âge de douze ans, Herman doit interrompre ses études secondaires, commencées à l’Albany Academy en 1830. Afin de gagner sa vie et de subvenir aux besoins de la maisonnée, il exerce divers métiers. Herman Melville est successivement ouvrier agricole, vendeur dans un magasin, instituteur et enfin employé de banque. Il occupe son temps à suivre quelques cours à l’Albany Classical School, devenant même membre de la société littéraire locale. En 1837, les Melville s’installent dans la ville voisine de Lansingburgh.
Deux années plus tard, Melville s’embarque comme garçon de cabine sur un navire marchand en partance pour Liverpool, le St. Lawrence. A son retour l’année suivante, il enseigne quelques mois à Greenbush. A New York, le jeune homme trouve à s’employer chez un avocat, avant de s’engager à New Bedford sur le baleinier Acushnet, en partance pour le Pacifique Sud. Alors qu’il n’est âgé que de vingt-trois ans, débute alors un voyage qui durera cinq années. La chasse à la baleine, qui commence le 3 janvier 1841, mène le navire à Rio de Janeiro, avant qu’il ne franchisse le Cap Horn. Le 9 juillet 1842, l’Acushnet arrive enfin aux îles Marquises, après dix huit mois passés en mer dans des conditions éprouvantes de discipline.
Dans l’archipel, Melville déserte avec un camarade de bord, Toby Green. Il vit alors quatre semaines parmi les indigènes de la tribu des Taipis, avant de s’enfuir à bord d’un baleinier australien, le Lucy Ann. Le 20 septembre 1842, à la suite d’une mutinerie à bord à laquelle il a participé, Melville est débarqué à Tahiti et mis aux arrêts. Jugé et condamné, il est néanmoins engagé comme harponneur sur le Charles & Henry, qui s’apprête à quitter Papeete. Après un voyage de six mois jusqu’à l’archipel des Hawaï, le marin reprend sa liberté à Lahaina, le 2 mai1843. A Honolulu, alors qu’il vient de signer un contrat qui le lie à une maison de commerce britannique, Melville s’engage comme simple matelot sur un navire de guerre de la marine américaine, le United States. A son bord, il arrive enfin à Boston, le 14 octobre 1844.
À son retour aux États-Unis, Melville rejoint sa famille à Lansingburgh. Il s’installe ensuite à New York, auprès de ses frères, et travaille à transposer le récit de ses voyages dans des romans d’aventures. « Taïpi, récit d’un séjour de quatre semaines parmi les indigènes d’une vallée dans les îles Marquises » paraît le 27 février 1846, suivi par « Omoo » l’année suivante. Ces deux ouvrages connaissent un grand succès auprès du public, toujours avide d’exotisme. Fort de cette nouvelle notoriété d’écrivain, Herman Melville est sollicité par les magazines new-yorkais. Il livre des articles de critique dans The Literary World, ainsi que quelques textes satiriques pour le Yankee Doodle.
Le 4 août 1847, Herman Melville épouse Elizabeth Shaw, fille d’un magistrat (chief justice) de Boston. Le couple, établi à New York, aura quatre enfants. Au mois de mars 1849, paraît à Londres « Mardi and a Voyage thither », un troisième roman à la tonalité plus ambitieuse. C’est un échec et les Melville sont maintenant fortement endettés. L’écrivain se met alors à écrire comme un forcené, à la vitesse de 3.000 mots par jour ! Paraissent bientôt deux récits de voyage, « Redburn » en 1849 et « White Jacket » l’année suivante, qui ont à son grand contentement autant de succès que ses deux premiers romans.
De retour d’un voyage en Angleterre au mois de février 1850, le romancier travaille à présent à la rédaction d’une œuvre d’une tout autre ampleur, l’histoire d’une chasse après une baleine blanche, une quête initiatique pour le narrateur qui révèle également toute l’étendue de la monstruosité de l’Homme. Au mois de septembre 1851, Melville fait l’acquisition d’une ferme dans les Berkshires, près de Pittsfield, dans le Massachusetts. A cette époque, il se lie d’amitié avec son illustre voisin, Nathaniel Hawthorne.
Le 18 octobre suivant, paraît enfin « Moby Dick, or the White Whale », qui connaît malheureusement un accueil médiocre. On attend en effet de Melville davantage de légèreté et surtout du rêve, mais celui-ci a choisi d’engager son œuvre dans une autre direction. Au printemps 1852, paraît « Pierre ou les Ambiguïtés », un roman qui traite de l’inceste. Nouvel échec commercial. Fort heureusement, Herman Melville collabore régulièrement au Putnam’s Monthly Magazine, à qui il envoie des nouvelles comme « Bartleby the scrivener », « Benito Cereno » ou « Israël Potter ». En 1856, certaines d’entre-elles seront réunies en volume dans les « Piazza Tales ». L’année suivante, paraît son dernier roman, intitulé « The Confidence Man » (Le Grand Escroc). Cette critique violente du culte de l’argent aux États-Unis s’inscrit dans la lignée de ses œuvres précédentes, toutes marquées par un profond pessimisme.
L’écrivain connaît maintenant des problèmes de santé. Son moral est atteint et ceci décide son beau-père, le juge Shaw, à l’aider à financer un long voyage outre-Atlantique. Après avoir quitté le continent américain, le 11 octobre 1856, Melville gagne l’Écosse et l’Angleterre, avant de faire une croisière en Méditerranée. De retour le 20 mai 1857, suivant l’exemple de Mark Twain ou de Ralph Emerson, il entreprend une grande tournée de conférences à travers le Tennessee, le Wisconsin, jusque Chicago. L’écrivain fait le récit de ses nombreux voyages dans les Mers du Sud et sur le « vieux continent », avant d’abandonner en 1859 devant le peu de succès que connaît l’entreprise.
Au mois d’avril 1860, Herman Melville renonce à un tour du monde, un voyage qu’il devait effectuer en compagnie de son frère Allan, capitaine du Meteor. En 1863, ses difficultés financières l’amènent à céder sa propriété de Pittsfield et regagner New York. Enfin, trois ans plus tard, l’écrivain obtient un poste dans la haute administration, réalisant une ambition vieille d’une quinzaine d’années pour laquelle il avait multiplié les démarches auprès des gouvernements successifs. Ce poste d’inspecteur des douanes au port de New York, qu’il occupera près de vingt années jusqu’à sa démission en 1885, lui apporte enfin la sécurité matérielle.
En 1866, ceci lui permet de publier à compte d’auteur « Battle-Pieces and Aspects of the War », des poèmes qui lui ont été inspirés par la guerre civile. En 1875 et grâce à l’aide financière d‘un de ses oncles, paraît également « Clarel, Poèmes et Pèlerinage en Terre sainte ». Viennent ensuite « John Marr et Autres marins » en 1888, ainsi que « Timoléon » en 1891. A présent oublié de ses contemporains, Melville vit reclus dans la solitude. Il travaille encore à un récit de mer, « Billy Budd, gabier de misaine », achevé au printemps 1891. Herman Melville décède le 28 septembre suivant.
Arrowhead sa maison.
Après avoir parcouru les océans, Herman Melville a vécu de 1850 à 1863 à Arrowhead une ferme dans le Massachusetts, où il a partagé son temps entre les labours et l’écriture.
En 1850, « Moby Dick » était déjà commencé. Melville était alors le chef d’une famille qui s’agrandissait, formée non seulement de sa femme et son fils, mais aussi de sa mère et de ses soeurs. Lassé de Manhattan, de son agitation et de sa vie littéraire incestueuse, Melville décida sur un coup de tête d’acheter cette vieille ferme et ses 83 hectares au sud du bourg de Pittsfield. Il était encore assez jeune et robuste pour s’attaquer au dur travail de la ferme avec confiance. Une autre raison avait motivé cette décision, et pas des moindres : la présence de l’écrivain Nathaniel Hawthorne un peu plus au sud, à Lenox, et donc, dans l’esprit de Melville, tout au moins, la promesse d’une amitié rapidement nouée.
Acheter Arrowhead était, pour Melville, l’aboutissement d’une histoire d’amour avec le Berkshire, commencée dans son enfance. Son oncle Thomas avait une ferme au sud de Pittsfield, et les visites rendues par Melville, lorsqu’il était enfant dans les années 1830 et qu’il se promenait librement à travers champs, bois et collines, figurèrent toujours parmi ses souvenirs les plus heureux.
Arrowhead (pointe de flèche) a été baptisée ainsi par Melville d’après les objets indiens qu’il trouva dans la terre en labourant les champs. Après la confusion des premiers jours d’emménagement, il établit bien vite la routine qu’il suivrait pendant toutes les années suivantes et qu’il décrivit dans l’une des premières lettres adressées à Hawthorne
« Voulez-vous savoir comment je passe mon temps ? Je me lève à huit heures, à peu près, et je vais dans ma grange. Je souhaite le bonjour au cheval et lui sers son petit déjeuner. (Cela me fend le coeur de lui en donner un froid, mais on n’y peut rien.) Puis je rends visite à ma vache, je découpe une citrouille ou deux pour elle et reste à ses côtés pour la regarder manger, car c’est une vision plaisante que de voir une vache bouger ses mâchoires – elle le fait avec tant de douceur et de sainteté. Après mon propre déjeuner, je me rends dans mon bureau et y allume mon feu, puis j’étale mon manuscrit sur la table, j’y jette un rapide coup d’oeil professionnel, et je me mets au travail de bon coeur… »
L’été était toujours le meilleur moment à Arrowhead. Melville aimait les pique-niques, et souvent des visiteurs venaient de New York et des excursions étaient organisées au lac Pontoosuc ou au réservoir de Stockbridge, ou bien encore sur les flancs escarpés du mont Greylock.
Melville, en plus de ses écrits, se consacrait à la ferme, et, à la fin de la journée, il s’écroulait, épuisé, dans un rocking-chair posé sous l’étroit porche qu’il avait construit sur le côté nord de la maison, lieu immortalisé dans « Les Contes de la véranda »
« J’ai labouré et semé et cultivé et imprimé et prié », écrivit-il dans une autre lettre à Hawthorne, « et je commence aujourd’hui à aborder une période plus paisible et à profiter de la perspective tranquille des choses depuis une jolie véranda au nord de cette vieille ferme. »
Les hivers étaient particulièrement éprouvants pour tout le monde. La famille se trouvait plus isolée et, entre l’incessant travail de la ferme, les déceptions écrasantes quand l’Amérique littéraire commença à ignorer ses livres et la pression de vivre dans une petite maison avec une famille qui ne cessait de s’agrandir (trois des enfants de Melville sont nés à Arrowhead), le Berkshire finit par perdre de son charme. Puis, Hawthorne déménagea en 1851, emportant avec lui beaucoup de l’attrait littéraire de la région. En 1863, écrasé par les soucis financiers et trop malade pour s’occuper de la ferme, Melville ramena sa famille à New York.
Arrowhead fut récupérée par le frère avocat de Melville, Allan, dans le cadre d’un échange de maisons en 1863, et la ferme resta dans la famille jusque dans les années 1920 (Melville lui-même y est retourné pendant ses vieux jours).
En 1975, la Société historique du comté du Berkshire en obtint la propriété et la transforma en lieu de pèlerinage à la mémoire de Melville, tout en créant un centre pour ses activités. La maison est une modeste ferme de la Nouvelle-Angleterre qui semble encore plus petite quand on pense que jusqu’à onze personnes y ont vécu ensemble.
Le rez-de-chaussée est dominé par une cheminée noire et massive, « personnage » principal de « Moi et ma cheminée ». (« Certains disent que je suis devenu une espèce de vieux misanthrope moussu, alors que je passe simplement mon temps à surveiller ma vieille cheminée moussue. ») En haut se trouve la principale chambre à coucher de la famille, et de l’autre côté d’un couloir étroit se situe le bureau de Melville, où l’on peut lire sur une petite plaque en cuivre : « Dans cette maison, Herman Melville a écrit Moby Dick ou la Baleine en 1850-1851. »
Préservée au même titre que la maison, la véranda reconstruite domine le champ de maïs que Melville labourait lui-même. Un sentier montant doucement naît derrière la grange et serpente à travers bois. En s’y promenant un beau jour d’été, il est facile de faire abstraction des habitations envahissantes et d’imaginer ce à quoi cela devait ressembler quand il n’y avait que des prairies alentour. Les invités se tassaient alors dans la charrette et Herman Melville, libéré pour un après-midi entier de ses travaux d’écriture et des corvées de la ferme, bondissait à la place du cocher avec l’agilité d’un marin prêt à prendre le large, même s’il ne s’agissait que des rives tranquilles du lac Pontoosuc.
Arrowhead est l’un des trois lieux de pèlerinage consacrés à Melville dans le Berkshire.
Dans le centre de Pittsfield se trouve le Berkshire Atheneum, dont la salle Melville recèle une collection sans prix de souvenirs de la vie de l’écrivain. On y trouve des raretés comme le bureau sur lequel il écrivit « Billy Budd », une pipe dont il fit l’acquisition lors de son voyage de noces ou, le plus émouvant, le petit insigne officiel qu’il portait lorsqu’il était inspecteur des douanes sur les docks de New York durant les longues années de son éclipse littéraire.
Le troisième lieu qui lui est dédié est très différent. C’est un endroit qui a peu changé depuis l’époque de Melville et où l’on peut littéralement marcher sur ses traces. Monument Mountain est un petit pic escarpé (Sophia Hawthorne le qualifiait de « sphinx sans tête ») qui émerge de la vallée de l’Housatonic à Stockbridge, non loin d’Arrowhead. C’est ici que, le 5 août 1850, a eu lieu l’excursion la plus célèbre et la plus courte de l’histoire littéraire américaine, lorsqu’un groupe comprenant Melville, Hawthorne et le poète Oliver Wendell Holmes est monté jusqu’au sommet pour un joyeux pique-nique. C’était la première fois qu’Hawthorne et Melville se rencontraient. Un orage les surprit en haut de la montagne et ils durent s’abriter sous les rochers. L’un des membres de la bande raconta qu’après la pluie Melville « monta à califourchon sur un rocher pointu semblable à un mât de beaupré, et se mit à tirer et à hisser des cordages imaginaires » comme un marin.
Melville a mis la dernière main à « Moby Dick » dans cette maison, devant une fenêtre encadrant le mont Greylock, qui domine les crêtes au nord. La masse du Greylock, le plus haut sommet du Massachusetts, avec 1063 mètres, et sa double bosse suggèrent en été une baleine verte émergeant du brouillard. Cent cinquante ans après la publication du chef-d’oeuvre, il est facile d’imaginer Melville se levant ankylosé après une longue matinée d’écriture, s’arrachant de la grande et implacable oeuvre posée sur son secrétaire, se dirigeant vers la fenêtre, s’étirant, se frottant les yeux, regardant longuement et intensément l’autre grande et implacable oeuvre à l’horizon, pour y trouver un instant de réconfort. Puis, après avoir évalué d’un coup d’oeil le maïs qu’il avait planté au printemps dans le champ du nord de l’exploitation, on le voit retourner à sa table pour continuer à écrire…
Procurez vous des ouvrages d’Herman Melville
LOCALISATION DE LA MAISON :