Biographie d’Elsa Triolet.
« Il n’y a pas d’endroit où l’on peut respirer plus librement que sur le pont d’un navire ».
De son vrai nom Elsa Kagan (puis Triolet de son premier mari qu’elle gardera toute sa vie), elle est fille de Elena Youlevna Berman (musicienne) et de l’avocat juif Youri Alexandrovitch Kagan. Elle est née le 11 septembre 1896 à Moscou. Elle a pour soeur Lili dont elle est très jalouse mais qu’elle admire en même temps. Lili rejoindra en 1905 la révolution russe et c’est par elle que Elsa et Aragon auront des contacts communistes. Elle est l’amie d’enfance du linguiste Roman Jakobson, apprend le français très tôt et se lie en 1913 avec le poète futuriste Vladimir Maïakovski, qui deviendra ensuite le compagnon de sa sœur, Lili Brik.
En 1918, elle quitte la Russie et en 1919, elle épouse André Triolet, un officier français, à Paris avec qui elle part pour Tahiti pendant 3 ans. C’est là qu’elle écrira ses premières oeuvres. D’années en années, elle subira une dépression liée au climat. En effet, elle ne peut se sentir bien que dans son pays et c’est pour cela qu’elle retournera quelques années après en Europe. Elle quitte son mari en 1921, c’est dans cette période qu’elle connaîtra un temps d’errance en allant à Paris, Berlin mais aussi Moscou. Elle écrit plusieurs romans en russe, « À Tahiti » (publié en 1925 et inspiré de son séjour à Tahiti en 1919), « Fraise-des-Bois » (1926), « Camouflage » (1928). Remarquons que ces oeuvres ont pour beaucoup une thématique d’errance en relation à ses années 1921 à 1928. C’est une femme qui vit dans une solitude bien qu’elle ait été mariée et entourée de nombreuses personnes.
Installée à Montparnasse en 1924, elle fréquente des écrivains surréalistes et des artistes comme Fernand Léger et Marcel Duchamp.
Elle rencontre Louis Aragon en 1928 à Paris, au café La Coupole, fréquenté par beaucoup d’artistes, et devient sa muse. Dans les années trente, elle dessine des colliers pour la haute couture et écrit des reportages pour des journaux russes ; elle traduit également des auteurs russes et français. Elle commence à écrire un premier roman en français, « Bonsoir, Thérèse », en 1938.
Elle se marie avec Aragon le 28 février 1939. Elle entre avec lui dans la Résistance, dans la zone Sud (à Lyon et dans la Drôme notamment) et contribue à faire paraître et à diffuser les journaux La Drôme en armes et Les Étoiles. Elle continue à écrire : le roman « Le Cheval blanc » et des nouvelles publiées aux Éditions de Minuit. Réunies sous le titre « Le Premier accroc coûte deux cents francs » (phrase qui annonçait le débarquement en Provence), ces nouvelles obtiennent le prix Goncourt 1945 au titre de l’année 1944. Elle assiste en 1946 aux procès de Nuremberg sur lesquels elle écrit un reportage dans Les Lettres françaises.
Appartenant au comité directeur du Comité national des écrivains (CNE), elle s’attache à promouvoir la lecture et la vente de livres dans les années cinquante. La période de la guerre lui inspire le roman « L’Inspecteur des ruines », puis la menace atomique, au temps de la guerre froide, « Le Cheval roux ». Elle voyage beaucoup dans les pays socialistes avec Aragon, mais, si elle a conscience de l’antisémitisme qui atteint sa sœur et des crimes qui sont commis en Union soviétique (le compagnon de Lili Brik, le général Vitaliy Primakov, est exécuté), elle ne fait aucune déclaration publique sur ces événements. Elle n’exprime sa critique du stalinisme qu’en 1957 dans « Le Monument ». Elle démissionne la même année du comité directeur du CNE puis écrit les trois romans du cycle « L’Âge de Nylon ». Elle intervient activement en 1963 pour faire traduire et paraître en France le roman d’Alexandre Soljénitsyne « Une journée d’Ivan Denissovitch ». La façon dont la biographie de Vladimir Maïakovski a été falsifiée en Union soviétique est une des raisons qui l’entraîne à écrire les romans « Le Grand Jamais » (1965) et « Écoutez-voir » (1968).
Après avoir publié « La Mise en mots » (1969) et « Le Rossignol se tait à l’aube » (1970), Elsa Triolet meurt d’un malaise cardiaque le 16 juin 1970 dans la propriété qu’elle possède avec Aragon, le Moulin de Villeneuve. Elle repose dans le parc de six hectares entourant ce vieux moulin aux côtés d’Aragon. Sur leurs tombes on peut lire cette phrase d’Elsa Triolet :
« Quand côte à côte nous serons enfin des gisants, l’alliance de nos livres nous réunira pour le meilleur et pour le pire dans cet avenir qui était notre rêve et notre souci majeur, à toi et à moi ».
Biographie de Louis Aragon.
« La vie est pleine d’échardes. Elle est pourtant la vie et cela fait du bien, la nuit parfois, de crier ».
Louis Aragon est né le 3 octobre 1897 à Paris. Il y meurt le 24 décembre 1982. Entre ces deux dates, la vie d’un homme, d’un homme hors du commun. Une vie en quête de vérité, de sa vérité. Une vie qui a commencée par un mensonge, celui de sa naissance.
Son père, Louis Andrieux, 57 ans, un notable, procureur de la république à Lyon, puis député, préfet de police, et ambassadeur de France en Espagne. Sa mère, Marguerite Toucas, 24 ans. Elle fera passer Aragon pour le fils adoptif de sa mère et Andrieux pour son parrain.
L’enfance se passe à Paris puis à Neuilly où sa mère tient une pension de famille. Après son baccalauréat latin-sciences, il s’inscrit à la faculté de médecine en 1916, il est affecté au Val de Grâce. Nommé médecin auxiliaire en 1918, il part pour le front. C’est à cette époque que Louis Andrieux et sa mère lui avouent le secret de ses origines.
Il publie son premier poème « soif de l’ouest » dans le numéro de mars de Nord-Sud, revue fondée par Pierre Reverdy. Puis en juin, il part pour le front. En août, il est cité à l’ordre du régiment et reçoit la croix de guerre. C’est pendant cette période qu’il rencontrera Breton, lui aussi médecin. Tout deux passeront des nuits à lire Lautréamont. Plus tard, après la guerre, après Dada, ils fonderont le mouvement surréaliste avec Philippe Soupault.
En 1920, Tzara, le maître du Dadaïsme arrive à Paris. Les trois jeunes gens s’enflamment pour cette révolte contre l’ordre établi. Aragon publie « Feu de Joie ». Soupault et Breton publient « les champs magnétiques ». C’est aussi l’époque où, avec Breton, il essaie en vain d’adhérer au parti communiste.
Le premier roman, « Anicet ou le panorama » paraît. Aragon, en plus d’être un grand poète, fut aussi un romancier hors pair, au grand dam d’André Breton. Déjà Aragon se distingue de ses camarades.
En 1922, échec à l’examen de médecine. Il n’aura pas à choisir entre celle-ci et la littérature. La même année, il publie « les aventures de Télémaque ». Une approche moderne d’une aventure on ne peut plus classique, notre poète essaiera toujours de concilier tradition et modernisme, toute son œuvre en témoigne. Puis, en 1924, pendant que Breton publie le « manifeste du surréalisme », Aragon, quand à lui, fait éditer « le Libertinage ».
Pendant plusieurs années, Aragon est plongé dans le surréalisme. Il participe à diverses manifestations surréalistes, publie des recueils de poésie tel « le mouvement perpétuel », tout en continuant à être prosateur avec « Le paysan de Paris ». Il publie son manifeste, le « Traité du style ». De 1926 a 1928, il vivra avec Nancy Cunnard. Elle le quittera lors d’un voyage à Venise. C’est avec elle, qu’il détruira les pages de son roman « La défense de l’infini » dans un hôtel madrilène. C’est aussi pendant cette période qu’il finira par adhérer au PCF , en compagnie de Breton et d’Eluard. Ceux-ci n’y resteront que quelques mois.
Après une tentative de suicide, la vie reprend son cours, il s’installe rue du Château, lieu où vécurent notamment les frères Prévert, des amis d’enfance. Il rencontre Maïakovski, puis Elsa Triolet la belle sœur du poète russe. Il commence à se détacher du surréalisme. Après la publication de « front rouge » que Breton qualifiera de poésie de circonstance, ce que revendiquera Aragon et une série de pamphlets qui ne feront qu’envenimer leurs relations déjà tendues depuis des années, la rupture sera définitive.
Jusqu’en 1939, sa vie sera jalonnée par plusieurs voyages en URSS, ce sera une vie de militant, de défenseur du communisme. Il accueille à la frontière des républicains espagnols et milite pour la défense de la culture. Le 28 février 1939, il se marie avec Elsa, la femme de sa vie. Il s’éloigne des communistes en prônant un pacte entre France, Angleterre et URSS, alors que se signe le pacte germano-soviétique. En septembre, il est mobilisé et affecté comme médecin auxiliaire. C’est pendant cette période, qu’il écrit les poèmes du « crève-cœur », premier recueil apolitique depuis bien des années.
En 1940, il commence la publication des « voyageurs de l’impériale » a la NRF, revue dirigée alors par Drieu la Rochelle. Puis c’est le tour de la « rime en 1940 » ou il prend la défense d’une poésie classique. Le texte va en fait beaucoup plus loin qu’il n’y paraît car en défendant la tradition en une telle époque, il s’oppose nettement aux visées du nazisme et de son homologue le communisme qui prétendaient tous deux diriger la vie culturelle.
Cette même année, il reçoit de nouveau la croix de guerre. Aragon a toujours été, quoique l’on dise, un combattant. Tous les témoignages montrent que la peur de la mort n’a jamais été sa préoccupation première. C’était un chevalier au sens que donne le cycle du Graal à ce mot , toujours prêt a défendre l’Elue de son cœur et a partir au combat si cela s’avère nécessaire.
En 1941, il renoue avec le PCF clandestin. Drieu la Rochelle cesse la publication des « voyageurs de l’impériale » à la NRF. Aragon et Elsa sont arrêtés par les Allemands sur la ligne de démarcation, ils seront emprisonnés à Tours. Ils sont finalement relâchés et vont s’installer à Nice.C’est l’époque de la résistance. Aragon, à l’instar d’Eluard, fait partie de ceux qui dans l’ombre ont résisté à l’Allemagne nazie. Pendant cette période naîtront les textes célèbres comme les « yeux d’Elsa » ou « la rose et le réséda ».
Aragon sera un résistant actif, en 1945 il suit De Gaulle dans son voyage en Alsace et en Lorraine. C’est aussi à ce moment qu’ Elsa obtient le prix Goncourt pour son roman « le premier accroc coûte deux cents francs ». Les années après guerre sont liées à l’histoire du PCF. Jusqu’à la mort d’Elsa en 1970, Aragon ne publiera plus de grandes œuvres polémiques. Par contre, c’est pendant ces années là que naîtront : « Le roman inachevé », son autobiographie poétique ; « Les Poètes », son histoire de la poésie, et surtout « Elsa » et « Le fou d’Elsa » deux textes dans la tradition de l’amour poétique et en même temps si novateur.
Après la mort de l’Aimée, Aragon continuera son œuvre à la fois poétique et politique mais se détachera bien des fois du communisme « pur et dur » notamment en protestant contre la déchéance de nationalité du musicien Mstislav Rostropovitch ou en condamnant le trucage du suicide du fils de Nezval, le poète tchèque. Protestations qui lui valurent une forte mise en garde ses dirigeants du PCF, et surtout qui se traduisirent par une cessation du soutien financier aux journal qu’il dirigeait depuis l’après guerre Ce Soir.
Il meurt le 24 décembre 1982.
Le moulin de Villeneuve leur maison.
Le moulin de Villeneuve et son parc de six hectares, au bord de la Remarde, fut découvert en 1951 par Louis Aragon et Elsa Triolet. Le poète décide d’offrir cet ancien moulin à eau qui a perdu depuis longtemps sa roue, à sa compagne et c’est là qu’ils passent, dès lors, leurs fins de semaine. pour échapper à Paris, laissant le restant de la semaine la garde du Moulin à leurs gardiens-amis Hélène et Ernest.
Aragon y écrivit « La Semaine Sainte » et Elsa, « Le Cheval roux ».
Louis Aragon et Elsa redonnent vie à ces bâtiments dont l’origine remonte au XIIème siècle et dont les formes actuelles datent des XVIIIème et XIXème siècles. Depuis 1904, le Moulin de Villeneuve n’a plus vu un meunier. Tous deux se dédient alors à l’aménagement des lieux : Elsa qui a étudié l’architecture et la décoration intérieure, dessine les plans de plusieurs pièces et aménage le parc tandis qu’Aragon fait installer un système de chauffage afin de préserver sa précieuse bibliothèque.
Dans les bâtiments des XVIIIème et XIXème siècles, l’appartement du couple a fait l’objet d’une préservation particulière. Il garde intact le cadre de la vie commune des deux écrivains : menu rédigé par Pablo Neruda, souvenirs de Russie d’Elsa et céramiques de Picasso. Le bureau et la chambre du couple sont tapissés de bleu de Saint-Pétersbourg, en référence au passé russe d’Elsa. On retrouve des vestiges de l’activité meunière, comme la roue dont la cage se trouve au coeur du grand salon, Aragon en ouvrait de temps en temps la vanne en présence de ses invités, pour faire gronder la chute d’eau. Dans le parc attenant à la propriété se trouve la tombe des deux poètes, sa végétation spontanée est une invitation à la rêverie.
Elsa y repose depuis 1970, et Aragon depuis 1982. Un magnétophone diffuse jour et nuit la Sarabande de Bach et le chant du rossignol.
La propriété a été léguée à la France, suivant la volonté des poètes et a ouvert ses portes au public en 1994, c’est un musée, mais aussi un lieu de recherche et de création suivant les vœux d’Elsa Triolet et Louis Aragon.
La maison organise désormais des spectacles de théâtre, des lectures ou expositions d’art contemporain, ou encore des conférences-promenades.
Très bien faites ces biographies. Pour compléter la partie sur Aragon, on peut ré-écouter (pendant 30 jours seulement je crois et à cette adresse http://www.radiofrance.fr/franceinter/em/2000ansdhistoire/index.php?id=66676 ) l’émission « 2000 ans d’histoire » d’aujourd’hui (hasard ?) sur France-Inter dont le sujet était l’amitié entre Aragon, Drieu la Rochelle et Malraux.
Un grand merci pour ce lien très interessant !!!
En parlant de Drieu la Rochelle, cela me fait penser à l’ouvrage Aurélien. La description de la maison dans laquelle vit Bérénice à la fin du roman me fait penser à celle-ci (je crains tout de même que ma mémoire ne me joue des tours).
C’est très bien que la maison garde ce dynamisme. Que j’aurais aimé les rencontrer..
Ahh ça fait du bien de se promener chez mes idoles de jeunesse. Love love love, je rêvais d’un amour aussi total.
Un beau couple oui 🙂
Je les aimais tellement, ils représentaient l’idéal pour moi rêveuse vers mes 17 ans…
Ce billet est fantastique. Je vais venir fouiller plus souvent ici.
Tu es chez toi Diane 🙂
ahhhhhh Elsa et les lettres envoyées par Aragon