Maisons d écrivains

Cervantes Miguel de

Miguel de Cervantes à Alcala de Henares et Valladolid

Biographie de Cervantes

Miguel de Cervantes

 

 « Il faut donner du temps au temps »


Il est communément admis que Miguel de Cervantes est né à Alcala de Henares, en Espagne. Le jour exact de sa naissance est inconnu mais il est probable qu’il soit né le 29 septembre, jour de de célébration de la fête de l’archange Saint Michel. Miguel de Cervantes a été baptisé  le 9 octobre 1547 dans la paroisse de Santa María la Mayor.

Dans l’acte de baptème on lit :

 « Dimanche, neuvième jour du mois d’octobre, année du Seigneur mille cinq cent quarante-sept, fut baptisé Miguel, fils de Rodrigue Cervantes et de sa femme Léonore. Il fut baptisé par le révérend Bartolomé Serrano, curé de Notre Seigneur. Témoins, Baltasar Vázquez, Sacristain, et moi, qui l’ai baptisé et signe de mon nom. Bachelier Serrano. »

Ses grands-parents paternels étaient Juan de Cervantes, juriste, et madame Leonor de Torreblanca, fille de Juan Luis de Torreblanca, un médecin cordouan. Son père Rodrigo de Cervantes (1509-1585) naquit à Alcala de Henares et était chirurgien. D’après Jean Babelon : « c’était un médecin mal qualifié, et besogneux, qui exerçait son métier au cours de ses fréquentes errances », ce qui expliquerait que Miguel reçut une éducation assez peu méthodique.

Cervantes avait des ancêtres convertis au christianisme dans les deux branches de sa famille, comme l’ont signalé Américo Castro et Daniel Eisenberg. Jean Canavaggio s’oppose à cette analyse. Il insiste sur le fait que cette ascendance « n’est pas prouvée » et compare Cervantes à Mateo Aleman pour qui les origines sont documentées. Malgré la controverse, il ne faut cependant pas en exagérer l’influence sur l’interprétation de l’œuvre de Cervantes.

Peu de choses sont connues sur la mère de Miguel de Cervantes. Elle s’appelait Leonora de Cortinas Sánchez et il est possible qu’elle eût parmi ses ascendants des convertis au christianisme. Miguel était le troisième d’une fratrie de cinq : Andrés (1543), Andrea (1544), Luisa (1546), qui devint Prieure dans un couvent de carmélites, Rodrigo (1550), soldat qui accompagna Miguel dans sa captivité à Alger. Magdalena (1554) et Juan ne furent connus que parce que leur père les mentionna dans son testament, ils moururent en bas âge.

Alors que le nom complet de Cervantes est « Miguel de Cervantes Saavedra », le nom Saavedra n’apparut sur aucun document de la jeunesse de Cervantes, et ne fut pas utilisé par ses frères et sœurs. Selon la tradition espagnole, le nom de naissance aurait dû être « Miguel de Cervantes Cortinas ». Miguel ne commença à utiliser le nom Saavedra qu’après son retour de captivité d’Alger, peut-être pour se différencier d’un certain Miguel de Cervantes Cortinas expulsé de la cour.

Vers 1551, Rodrigo de Cervantes déménagea avec sa famille à Valladolid. Il fut emprisonné pour dettes pendant quelques mois et ses biens furent confisqués. En 1556 la famille est à Madrid, le père se rendit à Cordoue pour recevoir l’héritage de Juan de Cervantes, grand-père de l’écrivain, et pour fuir ses créanciers.

Il n’existe pas de données précises sur les études de Miguel de Cervantes. Il est probable que celui-ci n’atteignit jamais un niveau universitaire. Valladolid, Cordoue et Séville se trouvent parmi les hypothèses de lieux possibles pour ses études. La Compagnie de Jésus constitue une autre piste puisque dans son roman « Le Colloque des chiens », il décrit un collège de jésuites et fait allusion à une vie d’étudiant. Jean Babelon pense qu’il a certainement fréquenté l’université d’Alacala et celle de Salamanque si l’on se fie à ses écrits sur la vie pittoresque des étudiants. Les informations qu’il fournit dans ses ouvrages ne permettent cependant pas de conclure formellement qu’il suivit un enseignement universitaire, comme le rappelle la bibliothèque virtuelle Cervantes.

En 1566, il s’installa à Madrid. Il assista à l’Estudio de la Villa. L’institution était gérée par le professeur de grammaire Juan Lopez de Horos, qui publia en 1569 un livre sur la maladie et la mort de la reine Elisabeth de Valois, la troisième épouse du roi Philippe II. López de Hoyos inclut dans ce livre trois poésies de Cervantes, « notre cher et aimé disciple », qui sont ses premières manifestations littéraires : le jeune homme avait écrit ces vers en hommage à la défunte reine.

Ce fut à cette époque que Cervantès prit goût au théâtre en assistant aux représentations de Lope de Rueda et de Bartolomé Torres Naharro dont les pièces étaient jouées dans les villes et les villages par des comédiens ambulants. Il adorait le monde du théâtre et fit déclarer à son célèbre Hidalgo, dans la seconde partie de son Cherf-d’oeuvre « Don Quichotte de la Manche » : « il n’avait d’yeux que pour le spectacle ».

Une ordonnance de Philippe II de 1569 a été conservée. Le roi y ordonnait d’arrêter Miguel de Cervantès, accusé d’avoir blessé dans un duel un certain Antonio Sigura, maître d’œuvres. Si cette ordonnance concerna réellement Cervantès et non un homonyme, elle pourrait expliquer sa fuite en Italie.

Miguel de Cervantès arriva à Rome  en décembre 1569. Il lut alors les poèmes de chevalerie de Ludovico Ariosto et les « Dialogues d’amour » du juif séfarade Leon Hebreo), d’inspiration néoplatonicienne et qui influencèrent sa vision de l’amour. Cervantès s’instruisit du style et des arts italiens dont il garda par la suite un très agréable souvenir.

Mais malgré son goût pour la littérature, Cervantès cherchait d’abord à faire carrière dans les armes. Il s’engagea dans une compagnie de soldats de 1570 à 1574 avant d’entrer comme  camerier au service de Giulio Acquaviva, qui devint cardinal en 1570 et qu’il suivit en Italie. Il avait probablement rencontré ce cardinal à Madrid, mais ce dernier ne le garda pas longtemps comme secrétaire, et Cervantès dut prendre rang dans les régiments des tercios d’Italie, à la solde des Colonna. Les hasards de la vie militaire l’entraînèrent sur les routes de toute l’Italie : Naples, Messine, Loreto, Venise, Ancône, Plaisance, Parme, Asti et Ferrare. Il consigna par la suite le souvenir de ces différents séjours dans l’une de ses Nouvelles exemplaires : Le Licencié Vidriera. Il lui arrivait de méditer sur la guerre, et de vitupérer la « diabolique invention de l’artillerie ». Mais tout en combattant, il complétait son éducation littéraire par la lecture des classiques anciens et des auteurs italiens de son époque.

En 1570, le sultan Selim II  attaqua Nicosie (Chypre). Cervantès décrit l’événement dans la nouvelle « L’Amant généreux » qui fait partie des « Nouvelles exemplaires ». Il fut alors enrôlé dans la compagnie du capitaine Diego de Urbina dans le tercio de Manuel de Moncada. La flotte, commandée par Don Juan d’Autriche, fils naturel du puissant Charles Quint et demi-frère du roi, réunit sous son pavillon les vaisseaux du Pape, ceux de Venise, et ceux de l’Espagne, et engagea la Bataille de Lepante le 7 octobre 1571. Cervantès prit part à la victoire sur les Turcs dans le golfe de Patras  à bord du bateau la Marquesa (la Marquise). Dans une information légale élaborée huit ans plus tard on lisait :

« Quand fut reconnue l’armée du Turc, dans cette bataille navale, ce Miguel de Cervantès se trouvait mal et avec de la fièvre, et ce capitaine… et beaucoup d’autres siens amis lui dirent que, comme il était malade et avait de la fièvre, qu’il restât en bas dans la cabine de la galère ; et ce Miguel de Cervantès demanda ce qu’on dirait de lui, et qu’il ne faisait pas ce qu’il devait, et qu’il préférait mieux mourir en se battant pour Dieu et pour son roi, que ne pas mourir sous couverture, et avec sa santé… Et il se battit comme un vaillant soldat contre ces Turcs dans cette bataille au canon, comme son capitaine lui a demandé et ordonné, avec d’autres soldats. Une fois la bataille terminée, quand le seigneur don Juan sut et entendit comment et combien s’était battu ce Miguel de Cervantès, il lui donna quatre ducats de plus sur sa paye… De cette bataille navale il sortit blessé de deux coups d’arquebuse dans la poitrine et à une main, de laquelle il resta abîmé. »

Ce fut après cette bataille qu’il gagna le surnom de « manchot de Lépante » (el manco de Lepanto). Cervantès fut blessé lors de la bataille : sa main gauche ne fut pas coupée, mais elle perdit son autonomie de mouvement à cause du plomb qui lui avait sectionné un nerf. Après six mois d’hôpital à Messine, Cervantès renoua avec sa vie militaire en 1572. Il prit part aux expéditions navales de Navarin en 1572, Corfou et Bizerte , et en 1573, il figurait dans le tercio de Figueroa lors de la Bataille de Tunis. Toutes ces missions furent exécutées sous les ordres du capitaine Manuel Ponce de León et dans le régiment du très fameux Lope de Figueroa dont il est fait mention dans « Le maire de Zalamea » de Pedro Calderon de la Barca.

Cervantès décrivit tous les combats navals auxquels il avait pris part et pour lesquels il gardait une juste rancœur. À tous ceux qui se moquaient de lui il répondait :

« Comme si mon état de manchot avait été contracté dans quelque taverne, et non dans la plus grande affaire qu’aient vu les siècles passés, et présent, et que puissent voir les siècles à venir ! « 

Plus tard, il parcourut les villes principales de Sicile et Sardaigne, de Gênes et de la Lombardie. Il resta finalement deux ans à Naples, jusqu’en 1575. Cervantès était très fier d’avoir participé à la bataille de Lépante.

Le 20 septembre 1575, Cervantès bénéficia d’un congé et il s’embarqua de Naples pour l’Espagne. Mais au large des Sainres-Maries-de-la-Mer, et alors qu’il naviguait à bord de la galère espagnole El Sol, le bateau fut attaqué par trois navires turcs commandés par le renégat albanais Arnaute Mami, le 26 septembre 1575. Miguel et son frère Rodrigo furent emmenés à Alger. Cervantès fut attribué comme esclave au renégat Dali Mami, marin aux ordres de Arnaute. Il fit le récit de sa mésaventure dans « L’Espagnole-Anglaise », qui fait partie des « Nouvelles exemplaires ».

Miguel, porteur de lettres de recommandations de la part de don Juan d’Autriche et du Duc de Sessa fut considéré par ses geôliers comme quelqu’un de très important et de qui ils pourraient obtenir une forte rançon. C’était, selon l’expression de l’époque un « esclave de rachat » pour lequel on demanda cinq cent écus d’or de rançon.

Les sources permettant de retracer la captivité de Cervantès sont des écrits autobiographiques : ses comédies « Los tratos de Argel,Los baños de Argel » (Les Bains d’Alger) et « Le Récit du Captif » inclus dans la première partie de « Don Quichotte », aux chapitres 39 à 41. Le livre du frère Diego de Haedo, « Topographie et histoire générale d’Alger » (1612), qui offre des informations importantes sur la captivité de Cervantès, a été donné pour une source « indépendante ». Cependant, l’attribution de cette œuvre à Diego de Haedo est erronée, chose que lui-même reconnut en son temps. Selon Emilio Sola, Antonio de Sosa, bénédictin et compagnon de captivité de Cervantès, a coécrit cet ouvrage avec son ami. En conséquence, le livre de Diego de Haedo n’est pas une confirmation indépendante de la vie de Cervantes à Alger, mais un écrit de plus de la part de Cervantès et qui porte aux nues son héroisme.Le récit de la captivité de Cervantès est épique. Pendant ses cinq ans d’emprisonnement, Cervantès, d’esprit fort et motivé, essaya de s’échapper à quatre occasions. Pour éviter des représailles sur ses compagnons de captivité, il assuma la totale responsabilité de ces tentatives devant ses ennemis et préféra la torture à la délation. Il n’a cependant jamais été châtié, peut-être pour des raisons politiques.

La première tentative de fuite fut un échec, car le complice maure qui devait conduire Cervantes et ses compagnons à Oran les abandonna dès le premier jour. Les prisonniers durent retourner à Alger, où ils furent enfermés et mieux gardés. En butte à de dures représailles, Cervantès fut alors employé aux carrières et aux fortifications du port. Il devint ensuite jardinier sous les murs de Bab El Oued pour son maître Hassan. L’écrivain relate en partie ce dernier épisode dans « L’Amant libéral » inclus dans le tome I de « Nouvelles espagnoles ».

Cependant, la mère de Cervantès avait réussi à réunir une certaine quantité de ducats, avec l’espoir de pouvoir sauver ses deux fils. En 1577, après avoir traité avec les geôliers, la quantité de ducats se révéla insuffisante pour libérer les deux frères. Miguel préféra que ce soit son frère qui fût libéré. Rodrigo rentra alors en Espagne en possession d’un plan élaboré par Miguel pour se libérer, lui et ses quatorze ou quinze autres compagnons.

Cervantès s’associa au renégat El Dorador (le Doreur) pour une deuxième évasion. Le plan prévoyait que Cervantès se cachât avec les autres prisonniers dans une grotte, en attendant une galère espagnole qui viendrait les récupérer. La galère, effectivement, vint et tenta de s’approcher deux fois de la plage ; mais finalement elle fut capturée à son tour. Le traître El Dorador dénonça les chrétiens cachés dans la grotte. Cervantès se déclara alors seul responsable de l’organisation, de l’évasion et d’avoir convaincu ses compagnons de le suivre. Le vice-roi d’Alger, Hassan Vénéziano, le racheta à son maître pour une somme de cinq cents écus d’or.(Dans le quartier algérois de Belouizdad, la « grotte de Cervantes » est réputée avoir été la cache de Cervantes et ses compagnons).

La troisième tentative fut conçue par Cervantes dans le but de joindre par la terre Oran  alors sous domination espagnole. Il envoya là-bas un Maure avec des lettres pour Martin de Cordoba y Velasconote, général de cette place, en lui expliquant la situation et lui demandant des guides. Le messager fut pris. Les lettres découvertes dénonçaient Miguel de Cervantès et montraient qu’il avait tout monté. Il fut condamné à recevoir deux mille coups de bâtons, mais la condamnation ne fut pas appliquée car de nombreuses personnes intercédèrent en sa faveur.

La dernière tentative de fuite se produisit en 1579 avec la complicité du renégat Giron et à l’aide d’une importante somme d’argent que lui donna un marchand valencien de passage à Alger, Onofre Exarque. Cervantes acheta une frégate capable de transporter soixante captifs chrétiens. Alors que l’évasion était sur le point de réussir, l’un des prisonniers, l’ancien dominicain le docteur Juan Blanco de Paz, révéla tout le plan à Azan Baja. Comme récompense, le traître reçut un écu et une jarre de graisse. Cervantes fut repris et condamné à cinq mois de réclusion dans le bagne du vice-roi. Azán Bajá transféra alors Cervantes dans une prison plus sûre, au sein de son palais. Il décida par la suite de l’emmener à Constantinople, d’où la fuite deviendrait une entreprise quasi impossible à réaliser. Une fois encore, Cervantes assuma toute la responsabilité.

En mai 1580, les frères Trinitaires, frère Antonio de la Bella et frère Juan Gil, arrivèrent à Alger. Leur Ordre tentait de libérer des captifs, y compris en se proposant eux-mêmes comme monnaie d’échange. Cinq cents captifs furent libérés par leur entremise. Les sources divergent sur les modalités d’obtention des fonds. Certaines biographies avancent que la famille fortunée de Cervantes paya sa rançon. Pour une autre source, Fray Jorge de Olivarès de l’ordre de la Merci resta en otage contre sept mille autres prisonniers. Enfin, pour d’autres biographes, les frères Antonio de la Bella et Juan Gil ne disposaient que de trois cents écus pour faire libérer Cervantès, dont on exigeait cinq cents pour la rançon. Frère Juan Gil collecta la somme qui manquait parmi les marchands chrétiens. Finalement, au moment où Cervantès était monté dans le vaisseau du Pacha Azan Baja qui retournait à Constantinople avec tous ses esclaves, l’écrivain fut libéré le 19 septembre 1580 par un acte de rachat passé devant le notaire Pedro de Ribera, et il s’embarqua le 24 octobre 1580 en route pour Denia, d’où il gagna Valence en cherchant à gagner sa vie.

 Vers novembre ou décembre, il retrouva sa famille à Madrid. C’est à ce moment-là qu’il commença à écrire « Le Siège de Numance », de 1581 à 1583. Il est probable que « La Galatea » fut écrite entre 1581 et 1583 ; c’est sa première œuvre littéraire remarquable. Elle fut publiée à Alcalá de Henares en 1585. Jusqu’alors il n’avait publié que quelques articles dans des œuvres d’autrui ou des recueils, qui réunissaient les productions de divers poètes.

« La Galatea » est divisée en six livres, mais seule la première partie fut écrite. Cervantes promit de donner une suite à l’œuvre ; elle ne fut pourtant jamais imprimée. Non sans autodérision, Cervantes place dans la bouche de l’un des personnages de « Don Quichotte » ce commentaire sur « La Galatée »

« Il y a bien des années, reprit le curé [Pedro Perez], que ce Cervantes est de mes amis, et je sais qu’il est plus versé dans la connaissance des infortunes que dans celle de la poésie. Son livre ne manque pas d’heureuse invention, mais il propose et ne conclut rien. Attendons la seconde partie qu’il promet ; peut-être qu’en se corrigeant, il obtiendra tout à fait la miséricorde qu’on lui refuse aujourd’hui ».

Dans le prologue de « la Galatée », l’œuvre est qualifiée d’églogue et l’auteur insiste sur l’affection qu’il a toujours eu pour la poésie. C’est un roman pastoral, genre littéraire déjà publié en Espagne dans la « Diana » de Jorge de Montemayor. On peut encore y deviner les lectures qu’il a pu avoir quand il était soldat en Italie.

De retour à Madrid, il eut une aventure avec la femme d’un aubergiste qui lui donna une fille naturelle, Isabelle, en octobre 1584. Deux mois plus tard, le 12 décembre 1584, Miguel de Cervantes se maria avec Catalina de Salazar y Palacios dans le village d’Esquivias près de Tolède où le couple déménagea. Catalina était une jeune fille qui n’avait pas vingt ans et qui lui apporta une dot modeste. Après deux ans de mariage, Cervantes entreprit de grands voyages à travers l’Andalousie. En 1587, il était à Séville, séparé de sa femme, sans que les raisons de leur séparation ne fussent claires. Cervantes ne parla jamais de son épouse dans ses textes autobiographiques, bien qu’il fut le premier à avoir abordé le thème du divorce dans son intermède « Le juge des divorces » et alors que cette procédure était impossible dans un pays catholique. Il conclut ce texte par : « Mieux vaut la pire entente que le meilleur divorce ».

Nommé commissaire aux vivres par le roi Philippe II lors de la préparation de l’attaque espagnole de l’Invincible Armada contre l’Angleterre, Cervantès séjourna à Séville entre 1585 et 1589. Il parcourut à nouveau le chemin entre Madrid et l’Andalousie, qui traverse la Castille et la Manche. Ce voyage est raconté dans « Rinconete et Cortadillo ». Mais, en 1589, il fut accusé d’exactions, arrêté et excommunié. L’affaire le mettait aux prises avec le doyen et le chapitre de Séville. Au cours de ses réquisitions à Ecija, Cervantès aurait détourné des biens de l’Église. Un peu plus tard, en 1592, le commissaire aux vivres fut arrêté de nouveau à Castro del Rio, dans la province de Cordoue pour vente illicite de blé. Il fut de nouveau emprisonné pour une courte période et accepta un emploi à Madrid : il fut affecté au recensement des impôts dans la région de Grenade.

C’est vers cette époque qu’il commença à rédiger « Don Quichotte ». Il eut l’idée du personnage probablement dans la prison de Séville, peut-être dans celle de Castro del Rio. En tout cas, selon ses dires, « dans une prison, où toute incommodité a son siège, où tout bruit sinistre a son siège, où tout bruit lugubre fait sa demeure ». La malchance poursuivit l’écrivain qui avait déposé ses avoirs chez le banquier portugais Simon Freyre, lequel fit faillite. Cervantès se retrouva de nouveau en prison à Séville de septembre à décembre 1597 où il retourna encore en 1602 et 1603. En 1601, le roi Philippe III s’établit avec sa cour à Valladolid qui devint pour un temps la capitale de l’Espagne. Cervantès s’y installa en 1604 dans une maison près de l’hôpital de la résurrection qui lui inspira le décor du « Colloque des chiens », et de « Scipion et Berganza ».

À la fin de 1604, il publia la première partie de ce qui fut son chef-d’œuvre : « L’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche ». Le livre fut un succès immédiat. Il y raillait le goût des aventures romanesques et chevaleresques qui dominait en son temps. Cette œuvre marqua la fin du réalisme en tant qu’esthétique littéraire, créa le genre du roman moderne qui eut une très grande influence et constitue sans doute le plus bel exemple de roman picaresque. Cependant en juin de 1605, Don Santiago Gaspar de Espeleta fut assassiné devant la maison de l’écrivain. On accusa Cervantès sur la base d’insinuations des voisins, et sa famille fut mise à l’index. Il fut pourtant reconnu innocent. De retour à Madrid avec la cour, Cervantès bénéficia de la protection des ducs de Lerma, de Bejar, et de Lemos ainsi que de celle du cardinal Bernardo de Sandoval, archevêque de Tolède.

En 1613 parurent les « Nouvelles exemplaires », un ensemble de douze récits brefs, écrits plusieurs années auparavant. Selon Jean Cassou, ce recueil de nouvelles représente le monument le plus achevé de l’œuvre narrative de Cervantès : « La peinture est sobre, juste ; le style brillant, précis (…) on assiste à la naissance d’une poésie brutale et cependant jamais vulgaire ».

La critique littéraire est une constante dans l’œuvre de Cervantès. Elle apparut dans la « Galatea » et se poursuivit dans « Don Quichotte ». Il lui consacra le long poème en tercets enchaînés le « Voyage au Parnasse » en 1614. De même, dans « Huit comédies et huit intermèdes », recueil de pièces de théâtre publié à Madrid en 1615, que Cervantès qualifie de nouvelles (œuvres nouvelles) pour les distinguer de ses œuvres du début, le prologue présente une synthèse du théâtre espagnol depuis les origines jusqu’aux productions de Lope de Rueda et Lope de Vega. Ce recueil réunit toute la production des dernières années de l’auteur.

La seconde partie du « Don Quichotte » ne parut qu’en janvier 1615 : « L’Ingénieux chevalier don Quichotte de la Manche ». Cette partie sortit deux ans après la parution d’une suite apocryphe signée d’un mystérieux Alonso Fernandez de Avalleneda publiée cours de l’été 1614 à Tarragone, et qui s’intitulait : « L’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche, par le licencié Alonso Fernández de Avellaneda natif de Tordesillas ». On n’a jamais pu identifier l’auteur de cette contrefaçon déloyale. On sait que Alonso Fernández de Avellaneda est le pseudonyme d’un écrivain espagnol. Les historiens ont émis plusieurs hypothèses quant au personnage qui se cachait derrière ce nom. Il pourrait s’agir de Lope de Vega, de Juan Ruiz de Alarcon y Mendoza, ou de Tirso de Molina. Un groupe d’amis de Lope est également évoqué.

Les deux parties de Don Quichotte forment une œuvre qui donne à Cervantès un statut dans l’histoire de la littérature universelle, aux côtés de Dante, Shakespeare, Rabelais et Goethe comme un auteur incontournable de la littérature occidentale. Honoré de Balzac lui rendit hommage dans l’avant-propos de « La Comédie humaine », où il le cita comme un de ses inspirateurs aux côtés de Goethe et Dante et dans « Illusions perdues » il qualifie « Don Quichotte » de sublime :

« Enfin le grand Cervantès, qui avait perdu le bras à la bataille de Lépante en contribuant au gain de cette fameuse journée, appelé vieux et ignoble manchot par les écrivailleurs de son temps, mit, faute de libraire, dix ans d’intervalle entre la première et la seconde partie de son sublime Don Quichotte ».

L’étrange inventeur, comme lui-même se nomme dans « Le Voyage au Parnasse », mourut à Madrid le 23 avril 1616, en présentant les symptômes du diabète. Il était alors tertiaire de l’ordre de saint François. Il fut probablement enterré dans le couvent de cet ordre, entre les rues madrilènes Cantarranas et Lope de Vega. C’est là qu’il repose avec son épouse, sa fille et celle de Lope de Vega bien que certaines sources affirment que, Cervantes étant mort pauvre, sa dépouille fut mise en fosse commune, et est aujourd’hui perdue.

Le roman  « Les Travaux de Persille et Sigismonde » parut un an après la mort de l’écrivain ; sa dédicace au Comte de Lemos fut signée seulement deux jours avant le décès. Ce roman grec, qui prétend concurrencer le modèle classique grec d’ Héliodore, connut quelques éditions supplémentaires à son époque mais il fut oublié et effacé par le triomphe indiscutable du « Don Quichotte ».

 Sa maison natale à Alcala de Henares

Don Quichotte et son fidèle serviteur Sancho Pança sont en pleine discussion sur un banc : vous êtes bien devant la maison natale de Cervantès, magnifique exemple d’architecture castillane du XVIème siècle. Cette demeure a vu naître Miguel de Cervantès en 1547. Restaurée en 1956 à partir de la maison paternelle de l’écrivain, la maison reproduit précisément le logement d’une famille aisée du XVIème siècle. Sa façade est en maçonnerie et en briques et les fenêtres sont pourvues de grilles. Ses deux étages s’articulent autour d’une cour comprenant huit colonnes en pierre et en granit, surmontées de chapiteaux corinthiens sur lesquels repose la galerie supérieure. Autour du magnifique patio central, plusieurs dépendances, décorées de meubles anciens et de multiples objets domestiques, recréent fidèlement la vie quotidienne de l’époque : cuisine, salle à manger, boudoir, salon, salle de couture, salle des femmes et le bureau du chirurgien, métier du père de Cervantes, arracheur de dents à ses heures.

L’étage supérieur était destiné aux salons et aux chambres. De nos jours, cet partie de la maison a été aménagée en musée et conserve l’une des meilleures collections d’éditions de Don Quichotte en plusieurs langues ainsi que la totalité de l’œuvre de Cervantès, dont une édition en français de la vie et des exploits du célèbre Don Quichotte de la Manche illustrée par Salvador Dali, ainsi qu’une version datant de 1605. On apprend également que Don Quichotte est le deuxième livre le plus édité au monde après la Bible. Cet étage abrite par ailleurs une importante collection de meubles, céramiques, gravures et peintures de l’époque.

Cette maison est située dans le centre historique d’Alcalá de Henares, quartier classé au patrimoine mondial par l’UNESCO.

 Sa maison à Valladolid

Valladolid est une ville du nord de l’Espagne, capitale de la région de Castille et León. Entourée par des plaines et des plateaux, elle est située au confluent de deux fleuves, le Pisuerga et l’Esgueva. La ville est à son apogée pendant les XVe et XVIe siècles. Elle accueille à cette époque plusieurs événements et personnages importants. Les Rois Catholiques se marient en 1469 à Valladolid, mariage qui scelle l’union des deux monarchies européennes les plus puissantes de l’époque. Philippe II et Philippe IV y sont nés. Miguel de Cervantes y a habité, Christophe Colomb y est mort et Torquemada, confesseur de la reine Isabel, et premier grand Inquisiteur d’Espagne, y vit le jour. Leurs palais et maisons sont encore conservés aujourd’hui.

Le musée Cervantes occupe l’ancienne résidence de l’écrivain lors de son séjour à Valladolid, de 1604 à 1606. C’est précisément à cette époque que fut publiée la première édition de « Don Quichotte » (1605). Dans cette demeure, Cervantès rédigea en outre d’autres ouvrages de sa série « Nouvelles exemplaires ».

Au cours du temps, la maison a subi un certain nombre de transformations, aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur, qui se sont limitées à des travaux d’entretien. Sa structure a ainsi été conservée intacte, de même que son agencement intérieur. Outre les pièces et leur mobilier typique du XVIe siècle, il est possible de visiter le jardin.

L’accès à la demeure se fait par une simple porte à volets s’ouvrant sur une salle destinée à recevoir les visites. Le soir, la pièce servait probablement de chambre à coucher. On peut y voir plusieurs vitrines contenant des documents témoignant de la présence de Miguel de Cervantès dans cette demeure. Le portrait de Philippe II que l’on peut apercevoir fait allusion au monarque qui décida de transférer sa Cour à Valladolid, ce qui conditionna le séjour de Cervantès dans la ville. Le tableau de saint Michel terrassant le démon, de Rafael de Urbino, se réfère quant à lui au patron de l’écrivain. Un secrétaire du XVIIe sur lequel se trouve la première partie de Don Quichotte, un coffre de l’époque, plusieurs chaises de style populaire et une table de style castillan complètent le mobilier de la salle. Le sol de la pièce, comme partout ailleurs dans la demeure, est un dallage en terre cuite.

Puis la cuisine, la grande hotte de la cheminée, les bancs disposés de part et d’autre du foyer et les azulejos de Talavera datent de l’époque des travaux de réinterprétation, en 1948. À remarquer les splendides chenets en bronze doré permettant de maintenir les bûches dans le foyer, ainsi qu’une remarquable collection d’objets en terre cuite et céramique – pots, cruches et jarres aux formes diverses. Un petit coffre pour conserver le grain, plusieurs mortiers en bronze, des lampes à huile, un placard en bois et plusieurs chaises de facture très populaire complètent le mobilier de la pièce.

Suit la salle à manger, pièce présidée par une table, avec quatre chaises à accoudoirs et un magnifique buffet du XVIIe siècle. Sur la table, une salière et une poivrière de Talavera. Le buffet, quant à lui, servait vraisemblablement à ranger la verrerie et la vaisselle. Il y a également un meuble à tiroirs sur lequel repose un plateau en faïence bleue ajouré, dont la poignée est ornée d’une tête d’animal, datant du XVIIe siècle. À remarquer également les habituelles cruches en faïence blanche décorée.

Vient ensuite, une recréation hypothétique du bureau de l’écrivain. La pièce contient sa table et son fauteuil de travail, des ustensiles pour écrire et deux corbeilles à papier. Plusieurs peintures font référence à la vie du chevalier errant. La première, de Valero Iriarte, représente Don Quichotte et son écuyer Sancho assistant à l’enterrement du berger Chrysostome ; la seconde, de Miguel Jadraque, la visite du curé et du barbier chez Don Quichotte. Le bureau possède un espace séparé qui servait de chambre à coucher, où se trouve un lit en baldaquin, une table et des chaises. Au mur, une modeste peinture du XVIIe siècle représente saint François, auquel l’écrivain adressait ses prières – il fut même membre de son tiers ordre. Le mobilier est complété par une magnifique sculpture en albâtre de la Vierge allaitant, datée du XVIe siècle.

Puis l’estrade, espace de la demeure où les femmes s’activaient à leurs labeurs ou recevaient les visites. La décoration de la pièce suffit à imaginer son rôle. Au sol, se trouve l’estrade recouverte d’un tapis qui était employée pour s’isoler du froid, et sur laquelle étaient placés les coussins où l’on s’asseyait. À remarquer, les murs recouverts de tissus, et les meubles aux dimensions modestes, dont un magnifique bureau en ébène à incrustations d’os et un buffet à tiroirs. L’image de l’enfant Jésus représentée sur ce dernier, associée au tableau de la Vierge à l’Enfant endormi avec le jeune saint Jean-Baptiste, témoigne d’une dévotion particulière. À ces éléments s’ajoutent un coffret destiné à ranger des bandeaux et autres ornements, mais aussi des ustensiles caractéristiques comme une quenouille et un fuseau.

Pièce dédiée au repos, vient ensuite la chambre. La pièce est occupée par un lit de petite taille au chevet doré datant du début du XVIIe siècle, qui se cache derrière un rideau. Une modeste chaise, une toile du XVIIe siècle représentant le visage de la Vierge et un Christ crucifié sculpté en bois polychrome par un artiste castillan du milieu du XVIe complètent la décoration.

Et enfin le jardin tente de recouvrer l’apparence que lui donna son fondateur, le marquis de la Vega Inclán. Ses parterres entourés de buis s’agencent autour d’une fontaine à vasque en granit. La partie supérieure du portail Renaissance de l’hôpital de la Resurrección, datée de 1579, présente une niche qui abrite une sculpture en pierre du Christ ressuscité rappelant le style de Pedro de la Cuadra. Un buste en bronze rend hommage au fondateur du musée : il s’agit d’une réplique de l’original de Mariano Benlliure, qui est conservé au musée national du romantisme.

Un grand merci à Afroxander.

 Procurez-vous des ouvrages de Cervantes

LOCALISATION DES MAISONS :