Biographie d’Emily Dickinson.
« Prenez-moi tout mais laissez-moi l’extase et je serai plus riche que mes semblables ».
Considérée aujourd’hui comme l’un des plus grands poètes américains, Emily Dickinson n’eut pas droit à la reconnaissance littéraire de son vivant. Presque absente de la scène littéraire, elle fut également peu présente dans le théâtre de la vie.
Son champ d’expérience fut limité, puisqu’elle ne s’éloigna d’Amherst que pour passer une année au collège de Mount Holyoke à South Hadley ou lors de rares séjours, à Washington ou à Boston. Il semble donc qu’elle n’ait guère quitté le cercle de cette petite communauté puritaine de Nouvelle-Angleterre, ni franchi le seuil de la maison familiale où elle disait tant se plaire – entre son père juriste et homme politique, admiré et craint, et sa mère plus effacée ; entre sa sœur Lavinia, qui ne partit jamais non plus et son frère Austin, installé dans la maison voisine avec sa femme Susan, amie de cœur de la poétesse.
Le choix d’un certain retrait du monde livre un signe essentiel : la mise à distance, l’ironie. Mais, à certains égards, ce retrait fut peut-être moins absolu qu’il n’y paraît : tout en se dérobant au monde, au mariage, elle adressa des lettres passionnées à divers correspondants masculins. La fin de sa vie fut marquée par des deuils répétés (son père en 1874, sa mère en 1882, son neveu Gilbert, mort à l’âge de huit ans en 1883, Otis P. Lord en 1884). Secrète et expansive, grave et moqueuse, discrète mais audacieusement libre, sa personnalité est aussi complexe que l’espace réel de son expérience fut restreint.
La hardiesse de sa pensée et de son écriture inquiétait les éditeurs qui voulaient lui faire remanier ses poèmes, ce qu’elle refusa toujours. Seule Hélène Hunt, poète et romancière, reconnut son génie et l’encouragea. En dehors d’elle, les poèmes d’Emily ne furent lus que par le cercle de famille, élargi à quelques-amis à qui elle les offrait, en guise de fleurs ou de bouquets disait-elle.
Ses poèmes reflètent le tumulte de sa vie intérieure, sentimentale et mystique, parsemée d’amours impossibles (une amitié amoureuse avec une camarade de classe qui deviendra sa belle soeur, puis avec deux hommes mariés, dont le dernier était pasteur), constellée d’invocations et de pieds de nez à Dieu. Le style novateur d’Emilie Dickinson a déconcerté et choqué ses contemporains. L’extrême densité de ses poèmes exprime une émotion intense. Passion et spontanéité donnent une écriture concise, elliptique, « explosive et spasmodique », comme elle la décrira elle-même. Par la poésie, elle se fait homme, femme, animal, objet. Tous les moyens lui sont bons pour questionner la vie et donc la mort, cherchant à connaître le monde, elle-même, Dieu, et prêtant à l’écriture des pouvoirs quasi-magiques pour l’aider dans cette quête. « le rivage est plus sûr, mais j’aime me battre avec les flots », écrit elle à 15 ans.
Emily Elizabeth Dickinson est née le 10 décembre 1830 à Amherst, dans le Massachussets. Ses parents ont eu l’année précédente leur premier enfant, William Austin. Trois ans plus tard naîtra le troisième, Lavinia. Emily ne commence à fréquenter la Amherst Academy qu’en 1841. Elle y fait la connaissance de ses plus chères amies : Abiah Root, à qui sont adressées tant de ses lettres de jeunesse, Abby Wood, Harriett Merill et Sarah Tracy. Dès 1846, elle fait l’expérience de la mort d’une personne très proche avec la disparition de son amie Sophia Holland qui la laisse bouleversée.
En 1847, le père d’Emily, Edward Dickinson, qui est avocat, accueille en stage un jeune étudiant , Benjamin Franklin Newton. Celui-ci exerce une grande influence intellectuelle sur Emily et contribue d’une manière décisive à sa vocation d’écrivain. Il est, écrira-t-elle dans une lettre, «l’ami qui m’enseigna l’immortalité». Ben Newton quitte Amherst en 1850. Il mourra trois ans plus tard. Cette même année 1847, Emily commence des études au collège du Mount Holyoke Seminary. Elle obtient de bons résultats scolaires mais souffre d’être éloignée de sa famille. Craignant pour sa santé, son père la retire de l’école au bout d’un an.
En 1852, Edward Dickinson est élu membre du Congrès. Emily et Lavinia se rendent en 1855 à Washington pour y voir leur père. A son retour, Emily effectue un séjour de deux semaines chez l’une de ses amies à Philadelphie. C’est durant ce séjour qu’elle fait la connaissance du Révérend Charles Wadsworth, pasteur presbytérien, pour qui elle conçoit une grande et irréalisable passion. Austin se marie en 1856 avec Susan Gilbert, la meilleure amie de sa soeur Emily. Sue restera toute sa vie la confidente privilégiée d’Emily, en particulier pour la création poétique. Mais Emily éprouve de l’agacement à l’égard du conformisme puritain de son amie. Elle commence en 1858 à à rassembler en fascicules les poèmes qu’elle écrit depuis une dizaine d’années.
En 1860, Charles Wadsworth fait une courte visite à Amherst. Mais, dès l’année suivante, il accepte l’invitation qui lui est faite de s’installer en Californie. Son départ provoque chez Emily une grave crise affective. C’est à cette époque que prend dans son oeuvre toute sa dimension le thème de l’éloignement des amants et de leurs retrouvailles sous l’habit blanc des Elus au Jour de la Résurrection. Afin d’incarner ce symbole, Emily prend l’habitude de ne se vêtir que de blanc. Hormis deux cures à Boston pour soigner ses yeux (en 1864 et 1865), elle entre dans une vie de réclusion presque absolue.
Emily a écrit en 1862 au critique Thomas Wentworth Higginson pour lui demander un avis sur ses poèmes. Les réserves de Higginson la déterminent à n’en publier aucun. Higginson se rend à Amherst en 1870 puis en 1873.
Les années 1874 et 1875 marquent pour Emily le commencement d’une longue série de maladies et de deuils. Le 16 juin 1874, c’est la mort soudaine de son père à Washington. L’année suivante, sa mère est frappée de paralysie. Le troisième enfant d’Austin et Sue, Gilbert Dickinson, meurt du typhus en 1883.
Le juge Otis P. Lord, ancien ami d’Edward Dickinson, perd son épouse en 1877. Emily se lie avec lui d’une tendre amitié. Sa maladie puis sa mort, deux ans après celles de Charles Wadsworth (avril 1882) constituent pour Emily une terrible épreuve. La dépression nerveuse qui la frappe alors altère l’équilibre précaire de sa santé. Elle meurt le 15 mai 1886, à l’âge de cinquante-six ans. Sa soeur Lavinia fera paraître à ses frais un premier ensemble de poèmes, présenté par Higginson à Boston en 1890.
Amherst sa maison.
« La maison est ma définition de Dieu » déclarait Emily Dickinson. Du coup, elle vécut plus de vingt-cinq ans recluse chez elle, à Amherst, dans le Massachusetts. Une demeure devenue un lieu de pèlerinage.
Emily Dickinson incarne une forme d’absolu : l’absence au monde. C’est à la feuille de papier qu’elle confie son âme, ses enchantements et ses colères, ses visions, ses interrogations, ses certitudes. Nul ou presque n’en saura rien. Soixante-dix ans s’écouleront avant que paraisse une édition complète de ses mille sept cent soixante-quinze poèmes, fondateurs avec ceux de Whitman de la poésie américaine. Et presque un siècle avant la première biographie fiable, celle d’une jeune fille de la bourgeoisie d’Amherst, Massachusetts, qui un jour se retira dans sa maison, puis dans sa chambre, et n’en sortit plus jusqu’à sa mort.
Durant vingt-cinq ans, nul à Amherst ne vit son visage. De temps à autre, pourtant, il lui arrivait de descendre un pain d’épice au bout d’une corde pour les enfants. La demeure de famille cossue de style néoclassique donnait sur la rue. De sa fenêtre, Emily Dickinson pouvait suivre l’animation de Main Street. De l’autre baie, elle apercevait Evergreen, la maison de son frère et de Susan, sa belle-sœur avec qui elle avait noué, quelques années durant, une amitié passionnée. Le monde ne lui est pas indifférent ou étranger. Emily regroupe ses poèmes par paquets de vingt, les coud et les range dans un tiroir.
Quand au matin du 15 mai 1886, Emily rend son dernier soupir dans sa ville natale, aucun habitant d’Amherst n’avait croisé la poétesse depuis vingt cinq ans. Sa disparition prit alors des airs de légende. La mort avait retrouvé la trace de celle qui marchait vers la transparence depuis un quart de siècle. Sa silhouette ne put retenir la moindre poussière d’ombre, même le médecin, venu constater le décès, dut rédiger son acte sur le seuil de la chambre d’où il apercevait une « forme immaculée qui reposait sur un lit ».
« Quand ce sera mon tour de recevoir une couronne mortuaire, je veux un bouton d’or ». Comme une réponse de la nature au désir d’Emily, le pré derrière la maison accueillait une foule vibrante de taches d’or.
Pour son ultime voyage terrestre, elle passa de sa table d’écriture à sa tombe, (située derrière la maison), respectant ainsi jusqu’au bout, son vœu de ne pas quitter sa demeure. Elle avait cinquante cinq ans… mais doit-on, peut-on donner un âge à une poétesse qui s’entretint durant toute son existence avec l’éternité ?
Emily Dickinson, une recluse incandescente.
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LOCALISATION DE LA MAISON :
Très intéressant.
Je me demande si Emily Dickinson n’a pas inspirée William Faulkner pour sa nouvelle « Une rose pour Emily ».
Tu as très certainement raison LF ! Comment ne pas penser à Emily Dickinson , en effet, le même prénom, de plus cette grande vieille dame cloîtrée dans sa maison et qui elle aussi n’en sort que pour ses obsèques … Après bien sûr, il y a transposition dans le sud et changement d’époque. Mais oui, sûrement un clin d’oeil et un hommage.